Par Christelle Monteagudo
Publié le 18/03/2015 à 20:29
Gabriel Iacono s’est longuement exprimé sur sa rétractation ce mercredi devant la cour d’assises du Rhône. Son grand-père est jugé en révision pour viols et sévices sexuels alors que le jeune homme s’est rétracté en 2011. Lyon Capitale a interrogé Paul Bensussan, psychiatre expert agréé par la Cour de cassation et par la Cour pénale internationale, sur la problématique des abus sexuels intrafamiliaux.
Lyon Capitale : Vous ne souhaitez pas parler de l’affaire Iacono sur le fond, mais vous acceptez de vous exprimer sur la problématique des fausses allégations d’abus sexuels, sur laquelle vous avez publié ouvrages et article scientifiques. Un enfant peut-il mentir ?
Paul Bensussan : La justice comme l’expertise psychiatrique ont été, durant les années “post-Dutroux”, sous l’emprise d’un discours militant : un enfant ne peut inventer quelque chose d’aussi grave sans l’avoir vécu. La parole de l’enfant valait preuve, du moins en matière d’abus sexuels. Oser remettre en question ce dogme simpliste mais consensuel revenait à s’exposer professionnellement. Ce procès devrait donc permettre de sortir de la dialectique caricaturale sur le discours de l’enfant : mensonge ou vérité ?
Si le mensonge de l’adolescent existe (des enseignants mis en cause en ont fait l’expérience), il faut être extrêmement prudent dans le cas d’un très jeune enfant, lorsqu’il dévoile un abus sexuel. Il est en effet exceptionnel qu’un tout petit fabule ou mente, c’est-à-dire qu’il accuse sciemment un adulte qui ne l’aurait pas agressé. Ce qui ne signifie évidemment pas que chaque adulte désigné est un coupable : le très jeune enfant pouvant confondre, dans une certaine proportion, le réel et l’imaginaire, l’essentiel n’est pas de savoir si “la” vérité sort de la bouche de l’enfant, mais plutôt de cerner “quelle” vérité en sort. Parmi les dévoilements non fiables, le mensonge enfantin est infiniment moins fréquent que les propos d’enfant mal interprétés ou mal recueillis.
Il est donc essentiel de ne pas confondre sincérité et crédibilité. C’est pourquoi je suis si réticent à parler de “crédibilité” (je pense avoir contribué à l’éradication de ce terme de la mission expertale, depuis l’affaire d’Outreau), préférant la notion d’analyse de la “fiabilité” du dévoilement. Prendre la parole d’un enfant au sérieux ne veut (surtout) pas dire la prendre à la lettre : sans quoi les juges n’auraient pas besoin d’experts. Le témoignage d’enfant doit donc être décrypté, et c’est bien le rôle des experts, du moins tel que je le conçois. Il s’est créé une atmosphère passionnelle autour de cette question, hélas au détriment de la technicité. On peut le comprendre : la preuve est rare en matière d’abus sexuels, tout reposant bien souvent sur la parole de l’enfant qui dévoile. S’il suffisait de nier, les suspects seraient tous acquittés : cette idée est difficilement supportable. Mais évaluer techniquement la fiabilité d’un témoignage d’enfant ne signifie pas renier sa souffrance. C’est même la meilleure façon de lui donner une vraie place devant un tribunal.
L’un de vos confrères, expert psychiatre, a expliqué que Gabriel Iacono “a pu mentir inconsciemment”. Est-ce un terme correct ?
Ce propos n’a aucun sens. Mentir, c’est par définition “affirmer, dire pour vrai ce qu’on sait être faux, nier quelque chose de vrai”. C’est donc altérer sciemment la vérité. Ce qui exclut la notion d’inconscient. Je pense que le confrère psychiatre qui s’exprimait ainsi a au moins eu le mérite d’admettre qu’il pouvait s’être trompé, tout en rationalisant maladroitement son erreur. Il se réfugiait, non moins maladroitement, derrière le fait que la rédaction du rapport, jugée trop péremptoire, avait été assurée par son coexpert, dont il se désolidarisait alors, tout en ayant cosigné le rapport. Pour travailler souvent en dualité ou en collège, je puis vous assurer que les débats au sein du collège sont fréquents et qu’ils favorisent une saine émulation intellectuelle. Rien n’empêchait donc mon collègue d’être plus prudent au moment de la rédaction.
Dans le cas présent, l’enfant est devenu un adulte de 21 ans lors du procès en appel. Il se dit victime. Puis, trois mois plus tard, il se rétracte. Il y a eu mensonge à un moment donné ?
La rétractation est extrêmement difficile, que l’allégation initiale ait été spontanée ou induite. Avoir accusé un proche, avoir été “cru” sans discernement par tous les professionnels, avoir obtenu le statut de victime et la condamnation d’un proche autrefois aimé… tout cela représente sans aucun doute une terrible épreuve si l’on n’a pas vécu les abus ou viols que l’on a dénoncés. Se rétracter demande donc beaucoup de courage et de force et il faut parfois du temps pour cela.
Une rétractation, a fortiori lorsqu’elle s’accompagne d’un aveu de mensonge, est-elle une preuve de l’innocence du mis en cause ?
Hélas non, ce serait trop simple. Dans les deux cas, cela signifierait qu’un plaignant peut prononcer un verdict (si l’allégation est prise au pied de la lettre) ou obtenir la révision d’un procès voire un acquittement (si la rétractation est prise à la lettre). Tout comme une accusation, la rétractation demande à être analysée (vous noterez que je n’emploie pas le terme de “croire”) avec discernement et
technicité : c’est sans aucun doute l’objet et l’enjeu de ce troisième procès.
Un expert psychologue, lors du procès en appel, a expliqué à la cour que la reconnaissance du statut de victime à Gabriel Iacono lui était indispensable pour se reconstruire par la suite. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Certains psychothérapeutes expliquent de bonne foi à leurs patient(e)s qu’ils ne pourront pas surmonter les séquelles des abus sexuels sans réparation judiciaire. Mais, en omettant de les préparer à l’épreuve que constitue la judiciarisation qui, soit dit au passage, peut également se solder par un classement sans suite, un non-lieu, une relaxe, un acquittement… Que disent alors ces psychologues à leurs patient(e)s ? Cette attitude quasi militante est déjà critiquable en psychothérapie : il convient en effet de bien préparer son/sa patient(e) à l’épreuve de la judiciarisation, et de ne pas conditionner son amélioration ou sa guérison à la sanction pénale, que le psychothérapeute, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas le pouvoir de garantir.
Cette même attitude devient difficilement acceptable lorsqu’elle est le fait d’experts. En effet, considérer la réparation judiciaire comme un préalable indispensable à la réparation psychologique, ce n’est pas seulement véhiculer un poncif à la mode, qui dévoie le rôle de la juridiction pénale : la psychothérapie, je l’ai souvent dit, ne se fait pas dans le prétoire ; énoncer ce postulat à la barre d’une cour d’assises revient à faire peser une pression sur le juré, à exiger une condamnation au nom d’un plaignant considéré comme victime par l’expert avant même d’être reconnu comme tel par la justice.
Pour aller plus loin, lire : “La Dictature de l’émotion – La protection de l’enfant et ses dérives”, de Paul Bensussan et Florence Rault, éditions Belfond, mars 2002.