En 2004, Patrice et Coline divorcent par consentement mutuel. Leur fille Rachel, alors âgée de 9 ans, passe sans difficulté du toit paternel au toit maternel. Mais lorsqu’une nouvelle femme entre dans la vie de Patrice, tout change. Rachel se met à refuser les week-ends avec son père, à lui crier : « Je te hais » quand il vient la chercher au domicile maternel, à jalouser l’affection qu’il porte à la fille de sa nouvelle compagne. « C’est évident pour moi que ces comportements lui sont suggérés par sa mère, s’exclame Patrice. A 10 ans, on n’a pas de tels raisonnements ! En plus, lorsqu’elle s’éloigne de son cadre de vie maternel, elle se détend et me manifeste à nouveau de l’affection, comme avant. Ce qui prouve bien qu’au fond, elle n’a rien contre moi. »
Aujourd’hui, Patrice a entamé une procédure pour réclamer la garde de sa fille. « En cas d’échec, je suis prêt à ce que Rachel soit placée, lâche Patrice. Tout ce que je désire, c’est qu’elle échappe à la folie de sa mère qui l’enferme progressivement dans un univers quasi sectaire. »
Le basculement peut être encore plus brutal. En l’espace d’un week-end passé chez leur père, les trois enfants de Nora, âgés de 9, 11 et 12 ans et demi, ont radicalement changé d’attitude, menaçant leur mère de faire une grève de la faim s’ils restaient habiter chez elle, refusant de s’asseoir à ses côtés, de la laisser entrer dans leur chambre, l’accusant d’attouchements.
Ces deux histoires révèlent une même souffrance engendrée chez l’enfant par la séparation : le syndrome d’aliénation parentale, cette manipulation psychique qu’un parent exerce, parfois sans en avoir conscience, sur son enfant. « Il s’agit d’un trouble de la relation plus que d’un trouble de la personnalité, explique le psychiatre Paul Bensussan (auteur notamment du « Désir criminel » avec Jacques Barillon, Odile Jacob, 2004). La haine et le dégoût de l’autre sont à mon avis le principal moteur de l’aliénation parentale. »
Le dénigrement de l’autre parent se fait souvent progressivement. « Cela commence par de petites choses : on ne donne pas un carnet de santé, on refuse de passer le téléphone à l’enfant quand l’ex-conjoint appelle, on prévoit des activités extrascolaires sur le temps qui lui est imparti », raconte Maître Pascaline Saint-Arroman Petroff, avocate spécialisée en droit de la famille et en divorces conflictuels. Certains vont jusqu’à déménager à l’autre bout de la France pour « punir » l’autre, ou présentent leur nouveau conjoint comme le nouveau papa ou la nouvelle maman. « Cela se termine par un rejet complet et, la plupart du temps, injustifié du parent aliéné par l’enfant, sans aucun rapport avec la qualité de leur relation jusque-là », observe Paul Bensussan.
Le comportement du parent aliénant se révèle dramatique pour la construction psychique de l’enfant : « L’enfant victime d’aliénation parentale a un raisonnement totalement manichéen, souligne le docteur Bensussan. Un parent ne présente plus que des défauts, l’autre, que des qualités. L’enfant ne retrouve même plus un seul bon souvenir avec le parent rejeté… Il faut dire et répéter que c’est une véritable maltraitance infligée aux enfants. » Ces derniers sont à la fois victimes et instruments d’une vengeance qui les dépasse. Pris dans un conflit de loyauté, ils se voient contraints de choisir entre leur père et leur mère. Une décision qu’un enfant n’a pas à prendre. La justice française ne reconnaît malheureusement pas encore clairement les dangers de cette manipulation psychique : les juges ne font pas la distinction entre l’aliénation parentale et la souffrance légitime occasionnée par toute séparation. Pour anticiper les conflits, la France pourrait prendre exemple sur le Canada, qui prévoit pour chaque couple des formations gratuites fondées sur le dialogue.
AU CANADA, LA CONCILIATION FAMILIALE, CA MARCHE !
Dans la province du Manitoba, au Canada, le gouvernement offre deux programmes d’aide gratuits : « Pour l’amour des enfants », un séminaire de six heures où sont abordés tous les aspects liés à la séparation (juridique, financier, vertus du dialogue, arrivée d’un nouveau partenaire, etc.) ; et « Coincé entre les deux », qui propose aux enfants de 8 à 13 ans, dont les parents vivent une séparation conflictuelle, de venir discuter entre eux une fois par semaine.
Ces programmes connaissent un succès considérable. A quand les mêmes en France ?
Olivia Benhamou – psychologies.com – Décembre 2008