UnknownLa suppression du non-lieu pour trouble psychique soulèverait autant de difficultés qu’elle n’en règle

Alors que la chambre de l’instruction de Pau délibère sur le cas de Romain Dupuy, auteur du double homicide de l’hôpital psychiatrique de Pau, la question du traitement judiciaire des malades mentaux est de nouveau posée. L’avant-projet de loi actuellement à l’étude prévoit la suppression des non-lieux pour les malades mentaux criminels et l’instauration d’une nouvelle procédure aboutissant à des « décisions de culpabilité civile ». 

La pénalisation de la folie est aujourd’hui une réalité. Les prisons françaises voient arriver, chaque année plus nombreux, des individus qui de toute évidence relèvent davantage d’une hospitalisation que d’une incarcération. Le nombre de détenus souffrant de troubles mentaux atteint aujourd’hui un seuil préoccupant. Les personnes souffrant de troubles psychotiques représenteraient aujourd’hui 23 % de la population pénitentiaire. La prison est en quelque sorte devenue l’annexe de l’hôpital psychiatrique, alors qu’en théorie on ne peut juger un fou, car il relève du soin et non de la peine, dont il ne peut comprendre « le sens et la portée ». On retrouve cette notion dans le code pénal de 1810, et elle est valable dans la quasi-totalité des démocraties judiciaires. Le véritable problème est que notre système judiciaire est – à ce jour – ainsi fait que le non-lieu pour cause d’aliénation mentale dessaisit immédiatement l’autorité judiciaire au profit de l’administration puis des médecins. Le cas échappe alors à la justice, ce qui est souvent perçu comme une démission et entraîne la colère des victimes, en particulier en cas de récidive.

Dans un tel contexte, le désir de répondre aux attentes sécuritaires de la société aboutit chaque année à des condamnations plus fréquentes et plus lourdes des malades mentaux. Si ces derniers sont toujours aussi nombreux, les diagnostics d’irresponsabilité pénale rendus par les experts psychiatres ont été divisés par dix en dix ans et le nombre de non-lieux prononcés par les juges d’instruction est en chute libre (environ 500 par an en 1992, 200 par an en 2004). Moins de 0,5 % des affaires criminelles instruites lors des dernières années en France se sont terminées par une décision de non-lieu fondée sur l’irresponsabilité pour troubles mentaux. Pourquoi ? Parce qu’il est devenu ordinaire que des experts psychiatres considèrent un sujet malade mental comme responsable de ses actes, donc punissable. S’agit-il d’une cécité des experts, de la peur de l’erreur, toujours possible, ou encore de leur soumission à l’exigence sécuritaire ? L’alibi psychologique est connu : le non-lieu « dépossède » l’auteur de son acte, il lui ôte toute possibilité d’élaboration à son sujet. On retrouve ici cette dérive inquiétante qui consiste à confondre la cour d’assises avec le cabinet du psychothérapeute, la réparation judiciaire avec la réparation psychologique. La réalité est qu’en déclarant responsable de ses actes une personne qui ne l’était pas au moment des faits, l’expert psychiatre se comporte comme s’il était investi d’une mission qui n’est en réalité pas la sienne : protéger la société. Le fait que chacun semble s’accommoder de la situation actuelle ne doit pas en faire perdre de vue les véritables enjeux médico-légaux.

La solution actuellement débattue, qui consiste à supprimer le non-lieu pour trouble psychique et à lui substituer une « ordonnance d’irresponsabilité pénale pour trouble mental », susceptible de déboucher sur une audience publique permettant notamment aux experts de s’exprimer donnerait l’occasion aux victimes d’entendre – de comprendre ? – la vérité judiciaire. Elle permettrait aussi sans doute à l’expert psychiatre de se montrer moins pusillanime et d’exercer son art dans le seul souci de la recherche de la vérité. L’expert psychiatre ne peut qu’approuver cette avancée : il doit être suffisamment confiant dans l’exercice de son art pour tolérer un débat public et affronter, le cas échéant, l’indignation des victimes ou la contradiction de ses pairs. Ce débat salubre ne peut être éludé et contribuera, à n’en pas douter, à une meilleure acceptation de la décision judiciaire dans l’hypothèse d’un crime que la maladie de son auteur interdirait de juger et de punir.

Pour autant, la volonté croissante de répondre au besoin légitime de réparation des victimes ne doit pas aboutir à un dévoiement du procès pénal. La réparation psychologique de la victime ne devrait pas être l’objet premier de la justice pénale. Or, en instaurant une procédure aboutissant à une décision de « culpabilité civile », le débat s’engage sur un terrain glissant, mêlant ainsi civil et pénal, oubliant les termes de l’article 489-2 du code civil : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. » Si les victimes d’une infraction peuvent se porter partie civile à un procès pénal, il n’en demeure pas moins que la voie judiciaire « normale » qui leur est offerte est celle des juridictions civiles. Pénalement irresponsable, civilement coupable : la formule est inédite et défie l’axiome selon lequel « il n’y a pas de peine sans culpabilité ». A vouloir trop changer la procédure sans rien changer au fond du droit, on en arrive à vouloir combler des lacunes qui n’existent pas.

A l’heure où la loi du 5 mars 2007, qui fait partie des réformes préconisées à la suite de l’affaire d’Outreau, tend à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, l’expert psychiatre, investi d’une trop lourde responsabilité et caution malgré lui de la pénalisation de la folie, peut voir un progrès dans l’idée d’un débat contradictoire autour de la responsabilité pénale du criminel et de son aptitude à comparaître à un procès. Le juriste en revanche restera sceptique quant à l’introduction dans notre droit de la notion de « culpabilité civile ». Il semble autrement plus urgent de garantir au juge un droit de regard sur le devenir et le traitement d’un criminel jugé irresponsable.
Paul Bensussan et Delphine Provence