FIGAROVOX/TRIBUNE – Christian Iacono a été acquitté ce mercredi à son procès en révision pour les viols de son petit-fils qui était revenu sur ses accusations. Paul Bensussan espère que ce dénouement redonnera une vraie place à la parole de l’enfant dans un tribunal.

L’annulation d’une condamnation par la Commission de révision de la Cour de cassation est un événement rarissime. C’est après avoir saisi cette Commission que Christian Iacono, ancien maire UMP de Vence, a obtenu le 18 février 2014 l’annulation de sa condamnation: il vient d’être jugé pour la troisième fois devant la Cour d’assises du Rhône. Après plus de quinze années de cauchemar et deux condamnations à neuf années d’emprisonnement (en 2009 et en 2011 en appel) pour le viol de son petit-fils, qu’il a toujours nié, son acquittement vient d’être prononcé. Et son honneur retrouvé?

«Gabriel a bien été victime d’abus sexuels, l’auteur en est son grand-père Christian Iacono, c’est la seule explication rationnelle», avait durement asséné l’avocat général, Jean-Paul Gandolière, affirmant mardi son «intime conviction» de la culpabilité du grand-père, sans pour autant requérir de peine, laissant aux jurés le soin de forger leur conviction.
C’est bien le terme de «rationnel» qui doit être souligné: dans le domaine de ce que la littérature psychiatrique a dénommé «fausses allégations d’abus sexuels», il n’y a, précisément et dans l’immense majorité des cas, rien de rationnel. Bien au contraire. Car la haine, qui occupe dans cette «affaire de famille» opposant trois générations, les devants de la scène, bien loin devant la problématique de l’inceste, est d’abord une passion. Oublions donc la «raison», qui ne permet effectivement pas de rendre compte des raisons pour lesquelles un enfant, pouvant mêler en proportions variables le réel et l’imaginaire, peut dévoiler un abus qui n’a jamais eu lieu.
«Ce n’est pas parce que Gabriel se rétracte que je suis obligé de le croire, que vous (les jurés) êtes obligés de le croire», a rappelé l’avocat général. Ce qui pose, en termes à peine voilés, la question du mensonge. De fait, Gabriel, définitivement considéré par la justice comme victime au moment de la condamnation en appel de son grand-père, au mois de février 2011, se rétractera de façon spectaculaire au mois de mai: trois mois seulement séparent des déclarations antinomiques et il est certain, car Gabriel est alors âgé de 21 ans et n’est plus précisément un tout petit, qu’il a menti. Soit en février, lorsqu’il accablait son grand-père à la barre; soit en mai, lorsqu’il l’innocentait en affirmant avoir tout inventé et avoir vécu dans le mensonge depuis 10 ans. Il est légitime et rassurant que la justice, dans une telle configuration, fasse preuve d’une très grande prudence.

Peut-on en effet imaginer qu’un plaignant (qui n’est pas encore une victime au sens judiciaire de ce terme) ait à lui seul le pouvoir de faire prononcer un verdict (si l’allégation est prise au pied de la lettre)? Puis, tournant sans clignoter, d’obtenir la révision d’un procès voire un acquittement, sans autre forme de procès (si la rétractation est prise à la lettre)? Tout comme une accusation, une rétractation demande à être analysée avec discernement et technicité: la rétractation n’est évidemment pas la preuve que l’abus n’a pas eu lieu et une authentique victime peut se rétracter sous le poids de la culpabilité.
Mais comment ne pas constater qu’on s’interroge (à juste titre) sur la sincérité d’une rétractation, alors que l’analyse de la fiabilité d’un dévoilement est un domaine tabou, puisqu’elle soulève, en filigrane, la question du mensonge enfantin? La même prudence ne serait-elle pas de mise à tous les temps de la procédure, y compris lorsque surgit la révélation?
Des rapports d’expertise péremptoires ne laissaient à peu près aucun doute: Gabriel, âgé de 9 ans lors du dévoilement et de 5 ans au moment des faits, n’avait pu inventer les gestes de viol qu’il dénonçait. Pour faire bonne mesure, l’un des deux experts soulignera, lors du procès en appel, l’importance (la nécessité) d’une condamnation pour la victime, préalable indispensable à sa réparation psychologique. En d’autres termes: sans un verdict de culpabilité, vous condamnez cet enfant, cette victime, que vous n’aurez pas «crue», à une souffrance éternelle. Poncif sévissant actuellement en psychothérapie, cette attitude, qui fait peser sur les jurés une pression considérable, est critiquable lorsqu’elle est le fait d’experts, dont le rôle est avant tout d’aider à la manifestation de la vérité. C’est cette «Dictature de l’émotion» qui a inspiré le titre de l’ouvrage que nous avons, avec l’avocat Florence Rault, consacré à la problématique des fausses allégations.

La justice comme l’expertise psychiatrique ont été, durant les années «post-Dutroux» et jusqu’au séisme de l’affaire d’Outreau, sous l’emprise d’un discours militant: la parole de l’enfant valait preuve, du moins en matière d’abus sexuels. Oser remettre en question ce dogme simpliste mais consensuel revenait à s’exposer professionnellement.
Ce procès et son dénouement devraient donc permettre de sortir de la dialectique simpliste et réductrice sur le discours de l’enfant: mensonge ou vérité? Si le mensonge de l’adolescent existe (souvenons-nous du film «Mourir d’aimer»), il est exceptionnel qu’un tout petit fabule ou mente, c’est-à-dire qu’il accuse sciemment un adulte qui ne l’aurait pas agressé. Ce qui ne signifie évidemment pas que chaque adulte désigné est un coupable: parmi les dévoilements non fiables, le mensonge enfantin est infiniment moins fréquent que les propos d’enfants mal interprétés ou mal recueillis. C’est pourquoi l’analyse d’un dévoilement ne saurait se limiter au contenu de la révélation, souvent spectaculaire et anxiogène, même pour des professionnels aguerris: une analyse digne de ce nom devrait toujours prendre en considération le contexte dans lequel la révélation a surgi.
Prendre la parole d’un enfant au sérieux ne veut (surtout) pas dire la prendre à la lettre: sans quoi les juges n’auraient pas besoin d’experts. Le témoignage d’enfant doit être décrypté, et c’est bien le rôle des experts. Il s’est créé une atmosphère passionnelle autour de cette question, hélas au détriment de la technicité. On peut le comprendre: la preuve est rare en matière d’abus sexuels, tout reposant bien souvent sur la parole de l’enfant qui dévoile. S’il suffisait de nier, dans ces affaires «parole contre parole», les abuseurs seraient souvent acquittés: cette idée est difficilement supportable. Fort heureusement, le concept de «crédibilité» a disparu de la mission des experts: une retombée bénéfique de l’affaire d’Outreau. Dès lors, l’évaluation par un expert de la fiabilité d’un dévoilement d’abus sexuels ne se limite plus à «croire» ou «ne pas croire», ni à nier la souffrance de l’enfant qui dévoile. C’est même la meilleure façon de lui donner une vraie place devant un tribunal.

Sous cet angle, le verdict rendu par la Cour d’assises du Rhône pourrait avoir une portée exemplaire, rendant à chacun son intégrité et son honneur, même si, à n’en pas douter, l’intime conviction de l’avocat général restera partagée par les militants les plus radicaux de la protection de l’enfance. Le piège du soupçon d’inceste, tout aussi redoutable pour les médecins, les experts, et les magistrats est ainsi fait que les allégations infondées, qu’elles soient motivées par un soupçon sincère ou cyniquement fabriquées, ont un pouvoir de nuisance comparable à celui d’incestes réels. Par la peur bien compréhensible qu’elles suscitent, par le climat follement passionnel dans lequel elles surviennent, par la difficulté à démêler le vrai du faux, elles fonctionnent comme un piège aux conséquences toujours désastreuses, dont personne ne sort jamais indemne. Le risque de confusion entre vérité psychologique (ce que la présumée victime a ressenti) et vérité judiciaire (ce que la justice retiendra), ne devrait pas faire oublier que nous sommes bien souvent, a fortiori lorsque le procès intervient une quinzaine d’années après les faits allégués, dans l’impossibilité d’établir la vérité historique: ce qui s’est réellement passé.