Propos recueillis par Geoffroy Tomasovitch | Publié le Jeudi 26 Mars 2015, 17h44

Au lendemain de l’acquittement de Christian Iacono, le psychiatre Paul Bensussan revient sur ce procès en révision, par nature rarissime. Expert auprès de la Cour de cassation, il a suivi de près ce dossier dans le lequel l’ex-maire de Vence (Alpes-Maritimes) a été accusé de viols par son petit-fils Gabriel, qui s’est rétracté de longues années plus tard, ouvrant la voie à un nouveau procès après deux condamnations de son grand-père à neuf ans de prison en 2009 et 2011. Paul Bensussan, qui a notamment écrit sur la problématique des fausses allégations d’abus sexuels, tire sans langue de bois les enseignements de cette saga judiciaire où Christian Iacono a toujours clamé son innocence.

Quel premier enseignement tirez-vous après l’épilogue de cette affaire ?
Paul Bensussan. Ce procès et son dénouement devraient permettre de sortir de la dialectique caricaturale sur le discours de l’enfant : mensonge ou vérité ? Si le mensonge de l’adolescent existe, il est exceptionnel qu’un tout petit fabule ou mente, qu’il accuse sciemment un adulte qui ne l’aurait pas agressé. Ce qui ne signifie évidemment pas que chaque adulte désigné est un coupable : les dévoilements non fiables existent et, parmi eux, le mensonge enfantin est infiniment moins fréquent que les propos d’enfants mal interprétés ou mal recueillis. C’est pourquoi l’analyse d’un dévoilement ne saurait se limiter au contenu de la révélation, souvent spectaculaire et anxiogène, même pour des professionnels aguerris. Une analyse digne de ce nom devrait toujours prendre en considération le contexte dans lequel la révélation a surgi. Je l’ai souvent dit : prendre la parole d’un enfant au sérieux ne veut pas dire la prendre à la lettre. Le témoignage d’enfant doit être décrypté, et c’est bien le rôle des experts.

«Les psychiatres sont de piètres détecteurs de mensonge»

Des experts ont justement été missionnés tout au long de cette procédure pénale…
Certes, mais cette affaire illustre le poids excessif accordé aux expertises psychiatriques et psychologiques dans ces affaires d’abus sexuels où la preuve scientifique (vérifiable ou réfutable) étant rare, c’est souvent «parole contre parole». Un enfant qui accuse, un présumé abuseur qui nie : le juge se tourne naturellement vers l’expert psychiatre. Or, les psychiatres sont de piètres détecteurs de mensonge et ne peuvent pas davantage permettre d’établir la vérité historique, ce qui s’est réellement passé. Le danger est d’avoir des victimes convaincantes et des experts convaincus, donc péremptoires, ce qui laisse une marge de manœuvre très étroite à la défense du mis en cause.

Quel regard portez-vous sur la position des experts dans ce dossier ?
Dans l’affaire Iacono, les experts ont été trop péremptoires, validant sans discernement la thèse de l’accusation. Il a même été dit par l’un d’eux (dont le mérite est d’avoir reconnu sa possible erreur, se dissociant de son collègue après la rétractation de Gabriel) que l’enfant a pu… mentir inconsciemment : ce qui n’a aucun sens. Quand on ment, on altère sciemment la vérité. Cette affaire le démontre une nouvelle fois : le psychiatre ne doit pas s’installer dans le fauteuil du juge !

«Le parti de ne croire l’enfant que lorsqu’il accuse est simpliste et idéologique»

Faut-il croire un enfant quand il accuse ou quand il se rétracte ?
Soyons modestes, cette question est insoluble si l’on recherche une certitude absolue. Le terme de « crédibilité » a heureusement disparu de la mission des experts. Je préfère, pour ma part, analyser et décrypter que « croire ». De surcroît, le parti de ne « croire » l’enfant que lorsqu’il accuse est simpliste et idéologique. Dans les deux cas (accusation ou rétractation), la prudence et surtout la technicité sont de mise. Il est impossible d’analyser la fiabilité d’un dévoilement, c’est-à-dire de la révélation des faits, sans une analyse poussée du contexte. Dans l’affaire Iacono, l’enfant a révélé à 9 ans des faits présumés quand il en avait 5. Or, la révélation a surgi dans un contexte de haine familiale, dont les experts on trop peu tenu compte, se focalisant sur le récit de l’enfant.

Comment avec-vous réagi au réquisitoire de l’avocat général, convaincu de la culpabilité de Christian Iacono, mais qui n’avait pas réclamé de peine ?
Je l’ai trouvé assez déroutant : pour les jurés, livrés à eux-mêmes, pour Gabriel Iacono, qui demandait avec tant de force à être entendu, enfin, naturellement, pour l’accusé. En dépit de son acquittement, ce réquisitoire entretiendra peut-être un doute sur l’innocence de Christian Iacono. Le magistrat a exprimé son intime conviction. Alors que nous sommes à l’évidence, a fortiori lorsque le procès intervient une quinzaine d’années après les faits allégués, dans l’impossibilité d’établir la vérité historique : ce qui s’est réellement passé.

Que peut-on penser, au final, d’une rétractation ?
Comme une accusation, elle peut ne pas être fiable. Elle demande à être analysée avec discernement. Si elle est sincère, la rétractation exige énormément de courage, on doit assumer le rôle terrible d’avoir envoyé une personne, un proche dans ce dossier, en prison. Une rétractation n’est évidemment pas la preuve que l’abus n’a pas eu lieu et une authentique victime peut se rétracter sous le poids de la culpabilité. Elle peut aussi avoir désigné un autre adulte que celui qui l’a agressée.